Après avoir passé la nuit chez Emmanuel
et Monique, au gîte d’étape des Saulières et signé le registre des pèlerins
de la cathédrale Saint-Fulcran, nous avions quitté Lodève.
Parvenus au col du Puech de Garde par le Travers de Montnief , et
afin de rejoindre Lunas au plus court, nous dévalâmes le ravin qui
débouchait vers le petit village de Laval-de-Nize.
Un kilomètre plus loin, une pancarte curieusement marquée : « ND-de-NIZE , EAU POTABLE , GUERISON DES YEUX " invitait le promeneur à
descendre vers le ruisseau, en contrebas de la route.
Là, sous une voûte de pierres , une statue de la Vierge protégeait
une vasque recueillant un filet d’eau claire surgie des profondeurs du
Causse.
Le toponyme de NIZE trouvait ainsi sa signification : de même que
celui de NICE, ville bâtie autour d’une source, il découlait
vraisemblablement du vocable celtoligure NISSA qui signifiait : source.
Curieusement accrochés aux branches des buissons alentour, des
mouchoirs et des lambeaux d’étoffe se balançaient au souffle de la brise.
Cette coutume de suspendre, en ex-voto, des linges autour d’une source
remonte aux âges anciens. Les hommes de ces temps, en effet, croyaient que
le linge mouillé par l’eau miraculeuse, et appliqué sur la partie malade, se
chargeait, par une sorte d’osmose magique, du mal dont ils étaient, de ce
fait, libérés. La vertu curative de la source une fois vérifiée, l’Eglise
médiévale avait eu la sagesse, comme en bien d’autres cas, de christianiser
le lieu. Avec, sans doute, une prudente mise en garde contre un retour au
paganisme. Sinon, comment expliquer que, de nos jours encore, ces lambeaux
de chiffons sont dénommés :"diablotins"?
Quoiqu’on puisse penser de ce syncrétisme lié à une ancienne
déité topique, cette persistance surprenante d’une forme de foi issue de la
nuit des temps, et sanctifiée par le patronage de la mère du Christ, me
parut émouvante. Spontanément montèrent à mes lèvres les paroles,
aujourd’hui oubliées, du vieux cantique :
« Béni soit Dieu
par la houle, la mer, le vent.
Et par les eaux souterraines
Qui vont jaillir aux fontaines.
Béni soit Dieu par la source aux reflets d’argent »
Au
premier siècle de notre ère, l’écrivain latin APULEE écrivait : «..quand
les voyageurs pieux rencontrent sur la route un bois sacré, une source ou
quelque lieu saint, ils ont coutume de se mettre en prière, d’offrir un
ex-voto, de s’arrêter un moment. »
Selon le R.P. Festugiere, l’homme antique « sentait »,
en certaines occasions, une « présence » : « Qu’un bel arbre l’arrêtât sur
sa route, qu’une source murmurât, et un réconfort mystérieux le saisissait".
Ce sentiment, tout à la fois confus et soudain, les Grecs
anciens le nommaient : « thambos ». « Qui n’a jamais ressenti le thambos
ne connaîtra non plus aucun émoi religieux. Ceux qui sont doués du thambos
possèdent une disposition intuitive à ressentir devant certains faits
naturels une manifestation divine". Le R.P. Festugiere ajoute qu’ils ne
créaient pas cette sensation, l’imagination n’y joue aucun rôle : ils
l’éprouvaient.
Maxime de Tyr expliquait que nous autres humains ne pouvant saisir
l’essence de Dieu qui est indicible, « nous appelons à notre aide les
mots, les nombres, les figures…..les arbres les fleurs et les sources. C’est
dans le désir de Le comprendre que , dans notre faiblesse, nous prêtons sa
nature aux beautés qui nous sont accessibles».
Alors, puisque sur les Hauts Lieux la conduite à tenir est
instinctivement ressentie par la créature, tout naturellement, après
quelques AVE émus nous accrochâmes nos mouchoirs humides aux branches des
taillis alentour. |