Eugène BARASCUT ( 1888 - 1965 )

...L'état- major de l'armée secrète de la région 3, hébergé dans une ferme à Lunas (1943-1944).

   Eugène BARASCUT, né le 13 août 1888 à Joncels, effectue son service militaire à Saint-Etienne dans la Loire. Il fait partie des troupes envoyées au Chambon-Feugerolles pour réprimer les mouvements de grève des métallurgistes (décembre 1909 - mars 1910). Bivouaquant dans le froid, il prend mal. Réformé, il n'est pas mobilisé en 1914. Son frère est tué en 1915. Renonçant alors à son emploi (valet de chambre chez des bourgeois montpelliérains), il s'engage et fait 42 mois de front. Il est décoré de la Croix de Guerre et de la Médaille Militaire.

   En 1924, il acquiert une ferme éloignée de Lunas, au lieu-dit, "La Dournié". Dans cette exploitation agricole (dont les terres s'étendent depuis la vallée du ruisseau de Nize jusqu'à la ligne de crête formée par la chaîne volcanique de l'Escandorgue), on élève des brebis dont le lait est destiné aux caves de Roquefort.

   En 1939, Eugène et Jeanne y vivent avec leurs six enfants, dans un environnement naturel difficile et un confort réduit (l'électricité n'arrivera à la ferme qu'en 1952!). Très attaché à l'image d'une France libre, comme le montre son attitude lors la Première Guerre Mondiale, Eugène Barascut, consterné par la défaite rapide de nos troupes, ressent une profonde rancœur. A cette époque, la ferme a besoin de travaux d'aménagement pour améliorer l'hébergement des ouvriers agricoles. Le gouvernement de Vichy propose des aides pour ce genre de transformations. C'est en effectuant les démarches qu'Eugène fait la connaissance de Raymond CHAULIAC, ingénieur du Génie Rural. Constatant leur similitude d'idées sur l'analyse de la situation politique, les deux hommes se lient d'amitié.

   Le 8 novembre 1942, aidés par le putsch de la Résistance, les Alliés débarquent en Afrique du Nord en espérant prendre les troupes de Rommel à revers, afin d'entraîner ces possessions françaises dans la guerre. En réaction, les Allemands occupent la "Zone Libre". Le 11 novembre ils entrent dans l'Hérault pour contrôler les positions stratégiques de la côte, tout en faisant main basse sur les richesses du sous-sol des Hauts-Cantons (charbon, bauxite...) convoitées par l'industrie du Reich. Le général de Lattre de Tassigny, alors commandant de la 16ème division militaire, donne l'ordre à ses troupes de résister et tente de gagner le maquis. Il est arrêté à Saint-Pons.

   Il faut absolument éviter la saisie des équipements constituant le réseau radioélectrique du commandement régional. L’ennemi ne devant en aucun cas les utiliser, on procède à leur dispersion, après les avoir remplacés par de vieux appareils hors service. Tous les matériels détournés, lourds, volumineux, mais fragiles sont acheminés vers des lieux secrets. Ils serviront, le moment venu, au réseau clandestin de la Résistance…

   C'est ainsi que 2 camions s'engagent dans l'étroit chemin montant à la ferme de La Dournié. Les virages serrés nécessitent toute une succession de manœuvres. A la ferme, le camion radio de 19 tonnes est caché sous le foin, dans une grange. On décharge le contenu du second qui repart. Les convoyeurs du camion radio passent la nuit sur place. Le lendemain matin Eugène BARASCUT, avec sa voiture à cheval, les amène au village. Par précaution, il s'arrête à l'entrée de Lunas, au niveau de l'ancienne fromagerie Gauffre. Les deux hommes poursuivent à pied vers la gare. Le train s'apprêtant à démarrer, ils le stoppent d'un signe de la main et grimpent rapidement dans un wagon. Dans l'heure qui suit des gendarmes arrivent : ils cherchent deux hommes... Les nouvelles circulent bien vite en ces périodes troubles!

   Roger BARASCUT, son fils, a dissimulé le matériel dans une cache qu'il a creusée dans le sol d'une cave : un trou profond d'un mètre, sur deux de côté. La paille, puis un plancher sommaire sur lequel sont stockées des pommes de terre recouvrent le tout…

   En cette fin 1942, non loin de la ferme, à LAVAL-de-Nize, s'est retranché un groupe de réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire) instauré par Vichy. C'est l'embryon du futur maquis Bertrand, du Bousquet d'Orb, dirigé par Gilbert BEFFRE. Raymond CHAULIAC pense que sa présence, si près de La Dournié, n'est pas souhaitable si l'on veut y créer un centre opérationnel. Il faut impérativement limiter tout mouvement autour de la ferme : ces hommes devront donc partir.

   Début 1943, tout est calme. Deux radios viennent s'installer, puis quatre. D'autres leur succèderont ou les remplaceront. Au printemps 1944, l'activité de l'Armée Secrète s'intensifie. Le nombre des personnes accueillies à la ferme va croissant. Le pailler sert de dortoir pour les hommes de passage, les radios couchent dans le hangar, les ouvriers agricoles et les enfants dans la grange. Quant à l'état-major, il dispose de 2 chambres. Les différents responsables des maquis de la Région 3 viennent régulièrement faire leur rapport et déposent leurs demandes en matériels devant être parachutés dans la plaine de Caunas, sur la rive gauche de l'Orb. La fusion des différents maquis, souhaitée par Jean MOULIN, n'est pas encore réalisée : la divergence des opinions oppose parfois les hommes. Roger se souvient d'interventions vigoureuses de Jacques PICARD (chef de mission de 1ère classe pour les départements côtiers, à la tête du réseau Action 3) clamant à ces responsables "Ici pas de politique! Les ordres c'est de Gaulle! Que ceux qui ne sont pas contents sortent !".

   Il faut parfois nourrir jusqu'à 30 personnes ce qui pose des problèmes d'intendance! Eugène décide d'interrompre la production du lait pour Roquefort. Les agneaux resteront sous la mère et fourniront la viande. Le surplus de lait servira à la production de caillé transformé éventuellement en fromageons. L'épicerie Bastide du Pont-d'Orb assure une partie du ravitaillement.
   Dès le début, Eugène a prévenu le maire Dieudonné CROS de ses activités ainsi que le curé Calixte AUBAGNAC. Ce dernier, avec l'accord du conseil paroissial, lui a même accordé la permission d'émettre à partir du clocher de Saint-Pancrace. Quand il est impossible de déplacer le camion émetteur, on peut voir deux radios, avec un matériel léger, se mélanger aux paroissiens avant de monter au clocher... Le maquis Bertrand assure la sécurité des lieux. Deux postes d'observation ont été installés : l'un à Lacan de Nize, l'autre à Camaillères de Nize.

   Le mot de reconnaissance, à La Dournié, est "je viens de la part de Louis XIV". Roger BARASCUT se rappelle un incident survenu en mai 1944. Sa mère, dans la cuisine, près du feu, fait tiédir du lait présuré. Trois hommes se présentent, prétendant effectuer des relevés cadastraux. Lorsque sa mère lui demande de l'aider à transporter le lait à la cave, l'un des hommes s'interpose pour la remplacer. Roger et l'inconnu se retrouvent seuls dehors. L'homme sort une carte tricolore, un brassard avec une croix de Lorraine, mais ne prononce pas le mot de passe... Roger ne bronche pas. L'homme rentre alors dans la maison tandis que Roger part dans les collines vers la cache où les radios se replient dès qu'un visiteur inconnu est en vue. On lui demande de ramener l'un des trois hommes : celui qui l'avait accompagné à la cave se propose. Tout en montant vers le repaire, il se plaint d'une vive douleur au mollet. Les radios reconnaissent Raoul BATANI : c'est un ami qui, la veille, à Montpellier, a reçu une balle dans la jambe ! Tout le monde redescend à la ferme...

   Fin juin 1944, des camions viennent enlever tout le matériel. Les hommes quittent Lunas pour Camarès, au sud du département de l'Aveyron.

   Une page d'histoire lunassienne est tournée. Jeanne BARASCUT a assumé toute cette période sans trop montrer la peur qui la tenaillait. Chaque fois qu'un véhicule venait à la ferme, elle balayait les marques sur le chemin afin d'effacer toute trace de son passage... Ayant un enfant handicapé, elle craignait d'avoir à quitter rapidement les lieux. Henri, frère cadet de Roger, atteint par la poliomyélite, étant appareillé n'avait pas la possibilité de se déplacer seul : le porter aurait retardé la fuite !

   Roger garde un souvenir très précis des faits et se rappelle les Résistants qu'il a côtoyés pendant ses années de jeunesse :

Colonel Raymond CHAULIAC dit "Chabert" ou "Rivière"
Colonel Emile-Jacques PICARD dit "Pape I" ou "Sultan"...
Lieutenant -Colonel Gaston AIGALIN dit "Jean" ou "Nivernais"
Capitaine Jean FEOLA dit "Café au lait"
Jacques ROYER dit "Rayor"...

   A la libération, peu de Lunassiens connaissent les activités menées par Eugène BARASCUT pendant la guerre. Toutefois, il fait ouvertement savoir qu'il est contre les exécutions sommaires et demande que chacun soit jugé en toute impartialité.
   De son vivant, il ne recevra aucune reconnaissance officielle : ni médaille, ni citation ! Lors de son inhumation, en août 1965, ses proches s'étonneront qu'aucune association d'Anciens Combattants ou de Résistants ne soit présente pour lui rendre un dernier hommage. Certes, sa grande discrétion sur son passé faisait qu'il n'y cotisait pas ... De même, les rares ouvrages régionaux d'histoire contemporaine ignorent son implication dans la Résistance. S'il n'a recherché aucune distinction, il aurait cependant souhaité qu'une plaque portant une croix de Lorraine, apposée à l'entrée de sa ferme, rappelle au passant le rôle stratégique du site : il est encore temps de corriger cet oubli....
 

Informations recueillies de Roger BARASCUT, le 17 novembre 2007, par Jeannine et Lucien Osouf, en présence de Max Commeignes .

Le samedi 8 août 2009, inauguration d'une plaque commémorative... cliquez ici

Bibliographie :

- "SOUVENIRS... R3T" - Les opérations transmissions intérieures conduites à l'échelon régional en R3 pendant la Résistance. Imprimerie MARES, 169 Grand'Rue à Alès - novembre 1982.

Documents annexes (cliquez...) :

1 - Carte extraite de l'ouvrage précédemment cité, montrant la place de La Dournié dans le réseau régional RT3 (page 18).

2 - Citation posthume, écrite le 1er juillet 1987, par le lieutenant-colonel Gaston AIGUALIN, en dédicace de l’ouvrage « SOUVENIRS RT3T » adressé à Roger BARASCUT.

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