Elisa FABRE - BELLIOL ( 1869 - 1936 )

...Une incroyable enfance (suite).

        " J'avais alors six ans et demi, j'étais seule au monde sur cette terre étrangère, si loin de ma patrie. Je n'avais pas ma mère pour diriger mes premières années. Je ne comprenais pas alors toute l'étendue de mon malheur, mais aujourd'hui en rappelant ces choses, je ne puis m'empêcher de pleurer. Qu'allais je devenir? Une âme charitable me tendit la main, elle me prit chez elle, moi pauvre orpheline si malheureuse et si à plaindre, elle me fit mes habits de deuil et quelque temps après, me mit dans un orphelinat.

           Mon bon grand-père, étonné du silence de son fils, car il ignorait tout de ce qui s'était passé, écrivit en Amérique pour recevoir de nos nouvelles, ne recevant jamais rien, il s'adressa au Consul d'Amérique Français.  Celui-ci lui apprit la triste nouvelle. Le bon vieillard répondit aussitôt et donna ordre de me renvoyer dans ma patrie, promettant de remplacer mon père auprès de moi.

         Un jour, on vint me chercher à l'Orphelinat et on m'embarqua sur le « Washington », navire de la Compagnie Transatlantique et je pris la route de mon pays.  On me confia au Capitaine du vaisseau, c'était un homme au cœur bon et généreux, aux sentiments nobles et élevés. Monsieur SERRAULD, c'était son nom, me soignât comme si j'étais sa fille et me fit presque oublier que je n'avais plus de mère. Le vaisseau débarqua à Saint Nazaire en Loire-Inférieure (Atlantique). 

      Le malheur me suivait partout, il s'attachait à tous mes pas, personne pour me retirer. J'étais à nouveau seule et abandonnée. On m'avais mise en mer sans écrire à mes parents et on avait oublié tous mes papiers. Moi-même, pauvre petite fille, j'ignorais le nom de mon pays et celui de mon grand père. On parla de me mettre à l'Orphelinat de Nantes, mais la Providence veillait sur moi, n'est-elle pas le secours des pauvres et des affligés?

          Monsieur SERRAULD demanda la permission de me garder chez lui, jusqu'à ce que quelqu'un de mes parents vienne me réclamer. Après avoir rempli les formalités voulues, il me prit chez lui. Sa Mère, femme digne et respectable, m'accueillit avec bonne grâce. Elle me soignait, me caressait et m'aimait autant que pouvait le faire une mère. De mon coté, je les aimais bien tous les deux. Je leur prodiguais mes caresses et j'étais heureuse quand, par ma sagesse, je faisais plaisir à mon ami et à sa mère.

         Dans un autre de ses voyages à CUBA, mon ami, car c'est ainsi que j'appelais Monsieur SERRAULD, apporta les papiers de mon père. On vit alors, qui j'étais et où j'allais. On écrivit à mon Bon Papa pour lui donner de mes nouvelles et lui donner mon adresse.

Le Washington sortant du port du Havre (gravure d'époque)

   Le 15 juin 1864 le "Washington" inaugure la ligne Le Havre-New-York pour la Compagnie Générale Transatlantique (traversée en 13 jours).

   Initialement à roue ce paquebot sera en 1868 transformé en paquebot à hélice et allongé de 10 mètres. On lui ajoutera un troisième mât.

    A partir de 1874 il dessert l'été New-York et les Antilles l'hiver.

           Aussitôt que mon grand-père eût appris la bonne nouvelle, il envoya un autre de ses fils pour venir me chercher. Il fût accueilli avec bienveillance par Madame SERRAULD, son fils étant absent. Mon oncle voulait le voir et Madame ne voulait pas me laisser partir sans lui donner la consolation de me voir encore une fois, mais mon ami ne revenait pas vite et il fallut partir.

         Vous dire mes résistances et mes pleurs à l'heure du départ me serait impossible, insouciante comme on l'est à cet âge. J'avais oublié mes malheurs, j'avais trouvé une famille, je la croyais mienne; quant il fallut la quitter pour toujours, mon petit cœur se déchira et on dut m'emporter de force. Madame SERRAULD ne pouvait retenir ses pleurs, seule avec son fils elle s'était attachée à moi et elle m'aimait comme sa fille. J'étais toute sa distraction pendant les longs voyages de son fils.

         Nous primes la mer jusqu'à Bordeaux car c'était plus court et moins cher et nous nous embarquâmes sur le « CARAIBE ». A Bordeaux nous primes le Chemin de Fer et nous arrivâmes bientôt au BOUSQUET d'ORB. La voiture publique nous porta à TRUSCAS, village natal de mon père.

         Nous étions partis trois et moi, la plus faible de tous, celle qui assurément aurait dû succomber, je fus la seule qui revint. Ma grand mère pleura de joie en me revoyant et j'eus vite fais connaissance avec mon grand-père, je sautais sur ses genoux et le bon vieillard pleurait comme un enfant. Tous les habitants du village accouraient pour me voir. Ma petite sœur, de deux ans et demi, elle, était étonnée de voir tant de monde et j'étais heureuse de revoir mes parents.

         Aujourd'hui j'ai douze ans, je suis à Toulouse avec une tante religieuse qui m'aime beaucoup, je tâche de m'instruire de mon mieux pour plus tard gagner honorablement ma vie. Ma sœur est encore à la maison paternelle avec nos grands parents qui nous aiment toujours et toutes deux nous demandons à Dieu de nous faire retrouver notre pauvre père.                  

                   Puisse-t-il nous exaucer !"

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