Souvenirs d'enfance par Léon COMMEIGNES

LES Fêtes

             

            Les distractions étaient réduites au village. Il y avait les fêtes annuelles.

            La fête patronale du village, St Pancrace, vers le 25 mai, était l'occasion, pour chaque famille, de recevoir des invités qui se succédaient du dimanche au mardi. Les cuisinières préparaient plusieurs grandes corbeilles de tartes, fougasses, oreillettes surtout. La jeunesse s'amusait gentiment sous la vigilante surveillance maternelle.

            Tout le monde se rendait au bal du café de la gare. Or, il pleuvait souvent durant cette période. Par chance, le café dont mes parents furent propriétaires de 1918 à 1928 (puis nous de 1928 à 1941), disposait d'une toile de tente qui couvrait la surface comprise entre quatre gros platanes de la place de la Mairie ; on pouvait danser dessous, bien à l'abri. Le bal était décoré de guirlandes de buis que les jeunes gens, filles et garçons, confectionnaient tous les soirs, un mois avant la fête; ils y piquaient des fleurs de papier multicolores. Un orchestre de 3 musiciens (piston, clarinette et basse) était là pour trois jours ; ils jouaient quatre danses à l'heure (polka, mazurka, scottish et valse). Il y avait beaucoup de monde ; surtout du Bousquet, qui venait à pied, évidemment quelques forains restaient là tout au long de la fête.

            Il y avait aussi une fête de trois jours pour le carnaval. L'orchestre venait en général de Lodève ou de Graissessac. Les jeunes se déguisaient en solo ou en équipe ; travestis préparés plusieurs mois à l'avance. On avait fouillé les greniers et les malles pour trouver quelque robe ou costume ancien sans mettre personne dans le coup et garder le secret de l'anonymat le jour du bal; chose très difficile dans un village où tout le monde se connaît si bien. L'après-midi était réservée aux jeux et danses folkloriques.

LE FOLKLORE

            Pour exécuter la danse des « soufflets » et le jeu du «feu aux fesses », les hommes revêtaient une chemise de nuit de femme, blanche et longue, se coiffaient d'un bonnet de nuit à pompon que les vieux mettaient à cette époque pour dormir. Ils se passaient la figure à la farine ou s'enduisaient de noir ou de rouge et évoluaient en file indienne sur deux rangs. Pour la « danse des soufflets », chaque danseur tenait un soufflet dont on se servait autrefois pour attiser les feux de bois, défilait en se courbant et « soufflait » au derrière du précédent, puis au rythme de la musique se relevait. Les rangs s'entrecroisaient, soufflets en l'air, puis à un signal donné les danseurs claquaient de la main sur le soufflet ce qui produisait un bruit sec et chantaient  « buffa - buffa et buffa ye al traoü !... »

            Le jeu du « feu aux fesses » était du même style mais se déroulait à la nuit tombante. Chaque partenaire, en chemise de nuit et bonnet, avait épinglé un journal sur son postérieur et tenait en main une chandelle allumée. A la queue leu leu sur deux rangs, tous de se contorsionner du croupion pour échapper à la flamme du suivant et de s'efforcer de mettre le « feu aux fesses » du précédent !   Le danseur « enflammé » s'allongeait sur le sol pour éteindre le mini incendie puis reprenait place au bout de la farandole pendant que l'orchestre jouait « non tu ne me mettras pas le feu aux fesses, non tu ne me mettras pas le feu au c.. ».

            Il y avait aussi « la promenade des cornards ».

           Ce jeu rassemblait tous les jeunes mariés de l'année. Hissés sur une charrette, on les coiffait d'énormes cornes de bœuf, la musique leur jouait « se sios coucut lou as boulcut, sé sios cournard acos té cal » les mariés sur la charrette tenaient en main un vase de nuit dit "pissadou", plein d'une marmelade de vin blanc et de gâteaux mousseline et dont les bords étaient mâchurés de chocolat. Ce n'était pas ragoûtant, je vous dis que ça ! Les jeunes pouvaient s'approcher  et demander à manger de cette mixture. Evidemment les gens riaient, s'amusaient à cette sorte de communion...   Puis les mariés prenaient leur revanche en attrapant tous les jeunes gens et en leur trempant le postérieur dans une comporte pleine d'eau. Certains se laissaient faire facilement; ils s'en tiraient à peine trempés, mais le jeu consistait surtout à faire courir les mariés; c'était alors de véritables chasses-poursuites dans les montagnes alentours, souvent de longues heures durant. La trempette était alors d'autant plus sévère, se transformant en immersion complète, ce qui en février ou mars n'est pas très amusant. Evidemment les spectateurs eux s'en donnaient à cœur  joie.

            L'on dansait dans des salles, à la laiterie, chez Montagnol ou à la maison Arnal qui appartenait à Bonnafous et où fut ensuite installée la poste.  Ce n'est que bien plus tard que fut construite la salle des fêtes. A la laiterie, on avait même une scène de théâtre où une troupe d'hommes et de femmes jouait de très belles pièces. Elle était dirigée par Gauffre Alcide qui était aussi l'organiste à l'église, le dimanche. Il y avait alors une bonne chorale, composée d'hommes et de femmes ; c'était Barbe Ciffre qui guidait les chants féminins et tenait l'harmonium.

            En dehors de ces fêtes, il n'y avait guère que le 14 juillet où l'on dansait avec l'accordéon de mon père.

            Exceptionnellement, à l'occasion des manœuvres du 142ème régiment d'infanterie de Lodève (qui montait bivouaquer trois jours à Lunas), après le concert donné le soir par la musique régimentaire, il y avait bal populaire. Nous les enfants, étions très heureux de voir tous ces soldats en vareuse bleue et pantalon rouge. Nous allions les attendre sur la route et portions leurs fusils ; nous allions aussi chez l'habitant remplir leur bidon avec du vin. C'était bien pour nous trois jours de fête.

            Quelques attractions circulaient aussi de village en village : petits cirques, ménageries, montreurs d'ours ou de marmottes.

            J'ai vu aussi opérer sur la place des arracheurs de dents. Le bonhomme qui extrayait la dent d'un patient criait : « Roulez tambour!.. » et le vacarme empêchait d'entendre brailler le cobaye.

            Un doux souvenir, c'est celui du « marchand d'oublies », Italien en général. Il portait sur son dos une grande boîte cylindrique rouge de 60 cm de diamètre, d'un mètre de haut.  Le couvercle soutenait une roue de loterie. Vous faisiez tourner la roue et suivant le chiffre arrêté vous gagniez des oublies (petites pâtisseries très  minces) ou un sucre d'orge. Ces marchands se faisaient reconnaître par un bruit de claquettes et criaient : « marchand d'oublies ! ». 1914 a fait disparaître tout cela ; une page était tournée.

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