Le moulin à blé transformé en atelier de production d'ébauchons de pipes...

   Dans le registre des comptes-rendus des séances du conseil municipal de l'année 1862 on lit :

"Extraction racines de bruyère

   L’an mil huit cent soixante-deux et le cinq octobre le conseil municipal de la commune de Lunas réuni en vertu d’une autorisation de M. le sous-préfet de Lodève qui l’invite à délibérer sur la vente du droit d’extraire les racines de bruyère existant dans les terrains communaux appartenant à la commune de Lunas

   Considérant que le cahier des charges dressé par M le maire de la commune de Lunas le 12 mai 1862 et approuvé par M le préfet le 23 juillet 1862 et portant la mise à prix à la somme de quinze cents francs, a donné lieu à une adjudication à laquelle il ne s’est pas présenté d’adjudicataire ; qu’il est convenable d’abaisser le chiffre de la mise à prix afin que l’adjudication puisse avoir lieu.

  Le conseil demande que la mise à prix de l’adjudication de la vente du droit d’extraire les racines de bruyère existant dans la commune de Lunas soit portée au chiffre de mille francs et nomme les sieurs Alméras Pierre et Mathieu Ciffre membres du conseil municipal, pour assister à la dite adjudication et ont signé les membres présents..."

Un peu d'histoire sur la fabrication des pipes . ..

   A l'origine, les pipes étaient fabriquées en terre ou à partir d'essences de bois diverses : buis,  hêtre ou encore merisier. A l'usage, on s'est malheureusement vite rendu compte qu'aucun de ces matériaux n'était idéal pour fumer du tabac. La chaleur usait le bois bien trop rapidement et altérait le goût du tabac !

   Il faut alors remonter au milieu du 19ème siècle pour voir apparaître la première pipe en bruyère ! Contrairement aux essences de bois précédemment utilisées, la bruyère est bien plus résistante à la chaleur et elle restitue parfaitement tous les arômes du tabac. Aujourd'hui encore, la bruyère est la meilleure option pour fabriquer une bonne pipe.

   A Lunas c'est donc à partir de la décennie 1860 que commence l'exploitation de la bruyère abondante sur le Causse Nord : les terrains siliceux provenant de la désagrégation des grès triasiques conviennent tout particulièrement aux bruyères arborescentes.

   La variété recherchée "Erica arborea" est parfois appelée aussi bruyère blanche, en raison de la couleur de ses fleurs, qui poussent en grappes serrées au début du printemps (mars-avril). Ses rameaux sont velus, cotonneux. Arbuste plus qu'arbrisseau, la plante atteint couramment deux mètres de haut et jusqu'à quatre mètres en sous-bois. Sa souche présente entre la base de la tige et l'insertion des racines une anomalie appartenant au groupe dit des « broussins ». Elle a l'aspect d'un gros bulbe de couleur rouge pesant plus d'un kilogramme, qui peut fournir un excellent bois de chauffage, mais qui est surtout utilisé pour fabriquer des ébauchons de pipes.

De la plante à l'ébauchon ...

   Cet arbuste pousse au moins pendant 40 ans pour que le "broussin" commence à avoir une taille exploitable. L'extraction s'effectue en période hivernale ou printanière (de fin octobre à fin juin). En dehors de cette période, en raison de la dureté du sol et aussi par le fait que les souches extraites doivent être humidifiées constamment, l'arrachage est impossible.

   L'extraction est un travail pénible, il faut pénétrer dans les fourrés pour rechercher la bruyère, couper les racines et les branches pour dégager les souches. Dans l'attente de leur transport à l'usine, elles doivent être mises à l'abri de l'air et de la lumière pour éviter leur éclatement. On doit donc, soit les enterrer soit les mettre en tas en les recouvrant de terre, de fougères ou de branchages constamment tenus humides.

   Une souche de bruyère se débite toujours verte et humide. Avant d’arriver sur le banc des scieurs (découpeurs) on doit procéder à une dernière vérification et la débarrasser de tous les petits cailloux. Cette opération est indispensable pour éviter l’affûtage trop répété des scies...

   C’est à ce moment qu’intervient le travail du scieur consistant en une recherche permanente du meilleur grain afin d’en tirer un maximum d’ébauchons de première qualité.

   La souche est alors transformée en plateau à l'aide d'une scie circulaire, puis en petits blocs appelés "ébauchons". Après façonnage, les ébauchons sont placés dans l'eau bouillante pendant 10 à 12 heures pour détruire la sève et les tanins. Mis en sac, ils peuvent ainsi être expédiés, sans risquer de se fendre, vers l'usine où les pipes  seront produites.

   Sources à consulter pour approfondir le sujet : https://www.pipe.fr ; https://www.fumeursdepipe.net ; http://lapipedesaintclaude.com

Transformation du moulin à blé

   L'exploitation des bruyères sur Lunas, datant de 1862, on peut supposer qu'à cette époque le moulin à blé ayant cessé de fonctionner (au profit de celui de Passero) son propriétaire, Hippolyte Charamaule, l'ait loué aux ramasseurs et préparateurs de broussins de bruyère. Après quelques adaptations les rodets pouvaient très bien actionner les scies circulaires nécessaires à la production des plateaux, découpés ensuite en ébauchons. Les opérations de traitement de ces derniers par l'eau chaude pendant 12 heures pouvaient également s'effectuer sur place.

 Le petit patrimoine de Lunas                  Le moulin des pipes                                                                     J et L Osouf - juin 2024