Lucien
Couderq est le descendant d'une vieille famille lunassienne dont on retrouve trace
dans les anciens compoix.
C'est
l'arrière-grand-père de Lucien, Alexandre Couderq (1779-1850) qui, en 1802,
fit construire l'imposante maison, près du pont Vieux, que les Lunassiens
appellent "la maison carrée" même si sa base est rectangulaire...
Il est
vrai que pour l'époque cette bâtisse innove dans l'architecture locale !
L'absence de maisons voisines a permis au constructeur d'édifier au village
un grand bâtiment sur 4 niveaux, couvert de tuiles canal, ce qui, pour
l'époque est nouveau à Lunas où toutes les maisons sont couvertes de lauzes.
Le frère d'Alexandre, Joseph (1765-1830) tient une
auberge, rue du chemin Neuf, sur la rive opposée du Gravezon.
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Lucien COUDERQ, autodidacte passionné…
Le 16 septembre 1923 à Lunas, Lucien Couderq naît près de la
mairie, au premier étage d’une maison, construite en 1848, à l’imposant
escalier rectiligne central, semblant se lancer à l’assaut des trois niveaux
supérieurs.
C’est
le fils de Louis Marius Joseph Couderq (1892-1972) et de Marie Carrière
(1900 -1988).
Sa
scolarité se déroule à l’école communale de Lunas, puis au cours
complémentaire du Bousquet-d’Orb où il prépare son brevet élémentaire,
examen qu’il ne passera pas, ayant contracté la typhoïde quelques jours
avant les épreuves.
Attiré
par tout ce qui concerne la radio, il s’inscrit aux cours par correspondance
de l’Ecole Centrale de TSF de Paris. Parallèlement, il travaille chez un
artisan plombier du Bousquet.
En 1943 il est mobilisé aux chantiers de Jeunesse, d’abord à Laissac, dans
l’Aveyron, puis à Bordeaux.
A la
Libération Lucien se met à son compte et ouvre un commerce de
radio-électricien. C’est à la même époque qu’il rencontre Ginette,
originaire de Mèze, qu’il épousera en 1948 lorsque cette dernière aura
atteint sa majorité. Les jeunes mariés se complètent. Ginette reçoit les
représentants, s’occupe des commandes et assure la comptabilité.
L'électricité était arrivée dans les années 30 à Lunas. A cette époque, les
installations domestiques étaient rudimentaires (éclairage, rares prises) et
réalisées en fils apparents torsadés. Près du café, Léon Commeignes vendait
les postes de TSF Lafayette « pas d'audition nette sans les postes
Lafayette », Marcel Coulet, le menuisier, en vendait aussi d'une autre
marque.
Avec la collaboration de Ginette pour les réglages, Lucien faisait les
sonorisations des fêtes de village, des kermesses, des moto-cross, de la
venue de l’évêque à Lamalou... « Pour celle du ministre Gaston Defferre
au Bousquet j'ai fabriqué les amplis afin que, sur la place, tout le monde
entende son discours. En 1953, lors d'un voyage à Paris, nous avons visité
l'usine Grammont qui fabriquait des téléviseurs et les studios de la rue
Cognacq Jay. L'idée m'est alors venue d'installer la télévision dans la
région… » |
La maison natale de Lucien date
de 1848. Cette photo du début du XXe siècle nous montre que le
rez-de-chaussée était occupé sur la gauche, par un bureau de poste avec
logement du receveur au premier étage. Vers 1925 une nouvelle poste sera
construite à la sortie du village, route de Bédarieux.
La partie droite était
l'atelier d'un charron
Jean Justin Nivoliès,
originaire de Séverac-le-Château. Il y vivait avec son épouse Marie, née Fau
et leurs 4 garçons (Elie, employé au Crédit Foncier, Paul et Jean, charrons
comme leur père, Jules, menuisier chez Guiraud). |
Lucien
Couderq amène la télévision dans les Hauts Cantons…
A Lunas, en ces années 50, personne ne peut recevoir la télévision. Seules
quelques grandes métropoles possèdent des émetteurs dont la portée reste
très limitée. C’est là que notre chercheur local va pirater le système en
fabriquant de toutes pièces des relais permettant de récupérer, amplifier et
diffuser les signaux provenant de Marseille puis, plus tard, du pic de Nore
dans l’Aude.
En 1956, avec l'aide d'Adrien Vernet, maire du Bousquet-d'Orb, le premier
relais conçu est installé à Montjoux au-dessus de Caunas. « Le téléviseur
récepteur était chez André Plazanet qui a reçu la première image ; on a pu
transmettre jusqu'à La Tour-sur-Orb. Nous prenions le secteur électrique au
Mas Colombier et jusqu'en haut le câble était enterré ; malgré tout, il
fallait dépanner presque tous les jours. Il émettait la première chaîne
depuis Marseille Canal 8, il y est resté 15 ans. Avec l'aide de radios que
j'avais fabriquées, genre talkie-walkie, je réglais les fréquences. Ginette,
à l'autre bout, m'indiquait si c’était satisfaisant. Le poste TV Schneider,
la batterie, le convertisseur, l'antenne et le mât télescopique, tout ce
matériel que nous transportions était très lourd. »
La RTF ayant le monopole, ce relais « pirate » fut vite contrôlé. Le
système, jugé parfait, rien ne fut démonté. Il faut reconnaître que l’Etat
en tirait déjà directement profit en encaissant la redevance des 15 postes
de télévision opérationnels au niveau local.
D’autres relais seront donc mis en place : à Briandes pour Lunas, à Joncelet
pour Joncels, à la Grotte des Demoiselles pour Ganges, à Ceilhes quand le
ministre Philippe Lamour est venu inaugurer le barrage d'Avène en 1962… En
1964, depuis le pic de Nore, vers Mazamet, un nouveau relais permettra de
capter la deuxième chaîne sur le canal 4.
« Bien sûr, il y eu quelques anecdotes liées à nos tâtonnements, comme le
jour où le pilote de l'avion de ligne qui passait au-dessus de ma tête m'a
demandé de libérer sa fréquence ou bien quand le cheval d'un paysan ne
voulant pas franchir le câble enterré, on a crié au diable : la modernité
n'avance pas sans encombre. Nous ne comptions pas nos heures, nous gagnions
notre vie en vendant des téléviseurs avec le régulateur et l'antenne. Nous
avions 15 % de bénéfice et c'est tout. Quand on est passé de la 1ère à la
2ème chaîne, il a fallu reprendre tous les postes : j'en avais jusqu'à 150
remisés dans une cave ! »
Lucien Couderq assurait le dépannage, l’entretien et le réglage de ses
relais. Les incidents étant souvent liés aux mauvaises conditions
atmosphériques (vent, neige…) les interventions étaient nombreuses et
parfois périlleuses. Ainsi pour atteindre Montjoux « je grimpais dans un
passage de la falaise à l’aide d’une corde à nœuds, attachée à un tronc
d’arbre ; un jour, je me suis retrouvé nez à nez avec un sanglier en
débouchant sur le plateau ! »
C’est grâce à Lucien Couderq que les habitants des Hauts-Cantons ont pu
découvrir la télévision… un jour, l’un deux contournant le récepteur a
demandé : « où sont les bobines ? »… il pensait être en présence d’un
projecteur de cinéma enfermé dans une boîte !
Il ira même jusqu’à construire son propre récepteur. Le coffret était en
bois, réalisé par le menuisier Rambaud, avec 2 poignées latérales
métalliques pour le déplacer.
« J'ai déposé un brevet pour un moteur linéaire chez Brevatome. Je n’en
ai jamais eu d’écho malgré la somme versée. Le principe en fut exploité par
les Américains et repris pour la réalisation de l’aérotrain expérimental
surélevé par champ magnétique sur un seul rail. »
Existait-t-il à Lunas, esprit plus créatif et ingénieux ?
« Le progrès nous a ouvert les yeux sur la réalité des choses, c'est à
nous de choisir. Si je le pouvais, car je pense que c'est l'avenir, je
chercherais le carburant propre pour les voitures. Tout m'intéresse sauf
internet que je trouve trop intrusif dans la vie des gens. »
C’est sur ces mots, lors de notre dernière conversation en novembre 2018,
que Lucien Couderq concluait cet aperçu d’une vie entièrement vouée à la
radio et à la télévision.
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Le site de MONTJOUX à 580
mètres d'altitude, est un relief calcaire dominant la vallée de l'Orb.
Idéal pour l'implantation
du relais, il reste par contre d'un accès délicat, depuis le hameau de
Caunas. |