Paul OLLIER raconte le Pont-d'Orb... (4) |
Les activités agricoles (1) : la polyculture, la monoculture de la vigne La polyculture La première population du quartier est essentiellement composée de propriétaires agriculteurs et éleveurs. Ils exploitent les terres environnantes : - des prés, pour la production des fourrages nécessaires à leurs chevaux, à leurs chèvres, à leurs moutons ; - des terres à céréales : blé, orge (le moulin de Passero n’est pas loin pour moudre leurs grains) ; - des vignes pour leur provision de vin de consommation courante ; - des jardins pour leurs pommes de terre et leurs légumes ; - des oliviers cultivés à l’abri des vents du nord à Passero donnant leur provision d’huile (le moulin Ciffre est tout proche à Lunas) ; - des châtaigneraies plus éloignées, car la châtaigne est alors un élément de base de la nourriture non seulement des hommes mais aussi des animaux (les cochons, les dindons s’en engraissent) ; - des forêts pour le bois de chauffage ou de service ; - un petit troupeau d’ovins et toute une basse-cour avec poules, lapins, pigeons et autres volatiles leur permettant de vivre en autarcie. La monoculture de la vigne A cette polyculture, après la guerre 14-18 succède une période de monoculture. Alors que la culture de la vigne était confinée sur toutes les collines ainsi qu’en atteste la photo Oustric, elle s’est étendue dans les plaines de l’Orb et du Gravezon. Dans le quartier, on doit pouvoir loger quelque cinq à six cents hectolitres de vin. La vigne est le seul revenu de la famille Raynaud qui peut récolter trois cents hectolitres et elle est un revenu complémentaire pour les autres familles qui ont un emploi à la mine ou à la verrerie. Tout au long de l’année, la vigne nécessite des soins constants et attentifs. Il faut d’abord la planter, la greffer, attendre la première récolte. Cette récolte rentrée il faut labourer, tailler, ramasser les bûches, les brûler ou les lier en fagots, « relabourer », remplacer les ceps manquants, soufrer, sulfater, élaguer et enfin vendanger. Alors les raisins sont foulés, mis dans des cuves minutieusement nettoyées ou en foudres de bois qu’il a fallu étancher au préalable. Là, sous surveillance, s’accomplit la fermentation transformant le moût sucré des raisins en alcool vinique. Il faut ensuite décuver, presser les marcs, stocker les vins, surveiller leur évolution et attendre la venue du courtier qui les achètera. Les ventes de vin amenaient régulièrement dans le quartier les camions citernes du négociant Guibal de Clermont-l’Hérault, faire le plein. Ces vins titrant de 9,5 à 12 degrés, étaient coupés avec les vins d’Algérie et revendus dans la région parisienne. Les mises en bouteilles n’existaient pas. Il fallait la constance de mon père pour garder tous les ans un ou deux petits barricots de 30 litres du meilleur vin. On le mettait délicatement en bouteilles, on en cirait les goulots. On le buvait les jours de fête, lors de réceptions familiales ou à la demande de ma grand-mère fatiguée qui me disait « petit, porte-moi une bouteille de vin vieux ». Depuis, ces vignes demandant trop de main-d’œuvre sont devenues non rentables. Aujourd’hui la viticulture a changé de visage. Nous ne sommes plus au refrain « le pinard c’est de la vinasse, ça fait du bien partout où ça passe » comme le chantaient les poilus de 14-18. La qualité est devenue un critère primordial de production et d’écoulement du vin. Le goût des Français s’est amélioré. On boit beaucoup moins. J’ai connu dans la Loire un mineur de fond qui prenait et avalait tous les jours ses 14 litres ! Les gens d’ici sont nettement beaucoup plus sobres. Notre propriété viticole se composait de cinq lopins de terre : Taillevent avec 3000 pieds de souches, Passero, la Séguinerie, Mendic et le jardin avec 3000 pieds supplémentaires. La vigne de la Séguinerie était de l’aramon, la vigne du jardin comportait encore quelques souches de raisins de table de mon grand-père, les autres parcelles étaient en carignan, gros noir, cinsault et plants divers. La superficie totale était de 1 hectare 29 ares 60 centiares. La cave pouvait recevoir 185,7 hectolitres de vin. Il y avait deux cuves en ciment de 60 et 40 hectos, trois foudres en bois de 18, 25 et 30 hectos, un transport de 6 hectos, deux bordelaises de 225 litres, un barricot de 60 litres et 2 plus petits de 30 litres chacun. C’était amplement suffisant pour transvaser à son aise et loger le vin dans des récipients toujours pleins. La plus forte récolte a été celle de 1938 avec 117 hectolitres de vin ne titrant que 7°8, ce qui en faisait un excellent vin de table mais difficile à conserver. Les années suivantes, les bonnes récoltes oscillaient autour de 90 hectolitres et les récoltes moyennes autour de 55. Le vin titrait 9°5 ou 10°, parfois 11°. Mon père tenant à maintenir son exploitation en bon état et pourtant on n’avait pas encore les moyens de production mécanisés : les labours se faisaient avec le cheval que Marius nous prêtait, les sulfatages à la machine en cuivre portée sur le dos qui pesait autant qu’elle pouvait contenir, les vendanges à la main dans des comportes en bois qu’il fallait sortir des vignes avec des pals (deux bâtons de broutes de châtaigniers passés de chaque côté du récipient). Le transport de ces comportes, à la cave personnelle, plus tard à la cave coopérative se faisait avec le cheval de Marius et la charrette pouvant recevoir dix à douze comportes. Après le décès de mon père en 1954, ma mère dut occuper du personnel pour continuer l’exploitation. Elle s’assurait toute l’année le concours de Marius Panséri, un des fils de notre ancien locataire de la maison de la Séguinerie, et elle confiait les labours à Moliner. La chute des rendements s’accélérait. Pour la campagne 1985/1986, les labours étaient remplacés par le désherbage des terres, il y eut 142 heures de main-d’œuvre. Le montant des frais payés, hors main-d’œuvre, c’est-à-dire les fournitures, les frais de transport, les impôts, les frais de cave, s’est élevé à 5 323,55 francs pour une recette de 7 044,75 francs provenant de la vente de 31 hectolitres 31 de vin. Il restait une différence positive de 1 721,20 francs pour payer la main-d’œuvre qui n’aurait été rémunérée que 12,12 francs de l’heure… une misère! J’ai dû prendre sa relève à son décès en 1979. Cela a été une de mes premières occupations de retraité. Il aurait fallu être plus motivé que je ne l’étais. Le maintien de cette exploitation non rentable me permettait seulement une activité physique et de pratiquer un sport orienté. J’ai tenu bon jusqu’en 1991 qui a été l’année de la dernière récolte. J’ai profité des primes d’état pour tout arracher et ne plus parler de vignes. |