J’ai sauté du « fénèstrou » des toilettes du 2e étage...

   Après le décès de mon meilleur ami, j’ai jeté mon dévolu sur son frère Guy Laviale pour satisfaire ce besoin de camaraderie qui m’était devenu indispensable. Guitou, comme tout le village le nommait était, à cette époque là, un garçon de 8 à 9 ans, turbulent, toujours prêt à commettre des bêtises. Mauvais élève et incontrôlable, il faisait le désespoir de ses parents désemparés par la disparition du fils aîné. Comme si la malchance poursuivait cette famille endeuillée, Guy tomba malade et il fallut l’opérer de l’appendicite, comme on disait à l’époque. Après quelques jours passés à la clinique, il rentra chez lui en convalescence. Le médecin lui avait prescrit du repos et surtout pas d’effort qui risquerait de fragiliser la cicatrisation.

   C’était mal connaître notre Guitou que de croire qu’il allait attendre sagement sa guérison. Dès que la surveillance s’est relâchée, le revoilà dans la rue, en quête de compagnie pour recommencer, comme avant, à jouer avec ses petits camarades. C’est là que par hasard, et très heureux de le retrouver, j’ai rencontré mon jeune copain apparemment guéri. Très vite, il a voulu savoir ce que nous avions fait pendant son absence, et c’est tout naturellement que nous sommes partis voir la cabane que nous construisions avant sa maladie. Cette cabane était en réalité l’aménagement d’une grotte, creusée dans la falaise calcaire qui surplombait la route de Dio. Il fallait escalader la pente abrupte du rocher sur 3 ou 4 mètres pour y accéder. Pas une seconde nous n’avons imaginé que cet exercice pouvait être dangereux pour Guitou.

   Ce n’est qu’au retour, lorsque nous avons entendu les appels angoissés de sa mère, que j’ai pris conscience de la grosse bêtise que je venais de faire. Ne sachant trop que faire pour éviter les foudres paternelles, j’ai conseillé à mon ami convalescent de rentrer doucement chez lui. Quant à moi, je me suis faufilé le plus discrètement possible dans ma chambre pour attendre des jours meilleurs. C’est donc dans mon lit que j’ai appris que le pot aux roses était découvert, par la voix forte de mon père en colère qui me cherchait pour me dire deux mots sur mon attitude inqualifiable. J’étais pris au piège, conscient que je n’avais que quelques minutes pour trouver une solution. En plein Brainstorming, mot dont je ne connaîtrai que bien plus tard la signification, j’eus cette idée folle de passer par le fénèstrou du cabinet situé à coté de ma chambre au deuxième étage, pour sortir de la maison sans être vu. Cette petite fenêtre donnait sur le toit du hangar qui me permettrait de rentrer dans le pailler et de là, quitter le domicile familial par le porche pour m’enfuir vers la rivière.

   Ce qui fut imaginé fut fait, et c’est pendu par les mains au-dessus du vide que j’ai eu un doute sur la distance qui séparait mes pieds du toit. La réflexion ne suffisant pas à trouver une réponse à la question, et la fatigue commençant à se faire sentir, je décidai d’appeler au secours. Personne n’entendit mes appels désespérés, c’est donc à bout de forces que mes mains lâchèrent prise et que j’atterris, un mètre plus bas, sur les tuiles du toit du hangar. Le reste du plan d’évasion s’est déroulé comme prévu et je me suis retrouvé, les jambes encore tremblantes, dans la rue. Au cours des dernières péripéties de l’aventure, j’avais perdu toute envie de fuir. Je suis donc rentré chez moi, tout penaud, mentalement préparé à recevoir la correction du siècle. En me voyant entrer dans la cuisine, ma mère me dit, sans interrompre ses activités : « Mais où étais-tu passé, on te cherche partout ? » Surpris par le ton presque affectueux de la question et le calme ambiant, je suis monté, sans dire un mot, dans ma chambre où je me suis endormi, épuisé par toutes ces émotions.

Sommaire souvenirs d'enfance de Robert Guiraud

"Les Lunassiens racontent Lunas..."