Un miracle à Caunas... Deux jeunes filles ont vu la Vierge !

   L’histoire qui suit peut paraître hors sujet dans ce recueil de mes souvenirs, compte tenu de l’époque des faits. Si je n’ai pas résisté à l’envie de l’évoquer ici, c’est à cause des moments de gaieté qui envahissaient la famille quand mes parents racontaient en riant beaucoup cette épopée surprenante.

   En cette année 1915, au début de la première guerre mondiale, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans tous les villages environnants : Lunas, Dio, Valquières, Boubals, La Tour, Véreilles, le Bousquet-d’Orb, Saint-Martin, le Pont-d’Orb, etc. etc. … : « Un miracle s’est produit à Caunas ; comme à Lourdes la Vierge est apparue ».

   Mon père, vivant à Caunas avec sa mère, avait 12 ans à cette époque. Il se souvenait très bien de cette histoire. Il nous racontait n’avoir jamais vu de processions aussi longues, constituées par les gens venant sur les routes du Bousquet et de Dio. Les cloches sonnaient à toute volée et les pèlerins chantaient des cantiques en se rendant sur le lieu où le miracle devait se produire. Ce lieu, parfaitement identifié, se trouvait dans la cave d’Etienne Delmas qui appartient aujourd’hui à Jacques Viguier, le portail que l’on voit sur la photo s’ouvre sur la place de la Farajole du côté opposé à la rue. Ma mère, elle, avait 11 ans. Quand elle évoquait ce souvenir, des images de vieilles bigotes en délire, presque en transes, lui revenaient en tête et la faisaient rire aux larmes. J’ai rarement vu mes parents dans un tel état d’hilarité, chacun décrivant le détail qui lui revenait en mémoire, déclenchait des saccades de fous rires qu’ils n’arrivaient plus à maîtriser.

"Caunas - Souvenir de l'apparition. La fontaine".

Cette photo a été prise par Emile Bastide le père de Pierrot

 (dixit Jeannette sa belle-fille)

   D’après mon père, le « miracle » aurait été organisé et préparé à l’avance. Un mystérieux inconnu aurait détourné une partie de l’eau du ruisseau par une canalisation cachée. La mise en eau devait se faire par une vanne manœuvrée le moment venu. Le hasard ou le manque de préparation n’a pas voulu cautionner la tricherie, ou bien est-ce la providence qui, trouvant les croyants suffisamment crédules, n’a pas souhaité rajouter le grotesque à la mauvaise blague? Le résultat est que toute cette foule en prière, se pressant autour des 2 fillettes à genoux, a attendu longtemps mais en vain l’eau miraculeuse qui n’a jamais daigné couler. Trahis par le ciel et fatigués par l’attente, tous ces pèlerins déçus sont retournés d’où ils étaient venus. L’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu des petites bergères qui pensaient vraiment avoir rencontré la vierge Marie.

   Cette anecdote donne un aperçu de la ferveur religieuse approchant parfois l’hystérie qui sévissait dans les campagnes. Les enfants, gavés de contes fantastiques plus ou moins effrayants destinés à les faire obéir, étaient préparés à croire sans aucune réflexion n’importe quelle histoire. Le thème religieux était probablement le terrain le plus propice pour entraîner toute une population dans une histoire invraisemblable nourrie par la bondieuserie à la mode. Qui pourrait croire à la possibilité d’un tel fait divers de nos jours ? Mais, qui sait ? Des évènements récents montrent et démontrent au quotidien que la nature humaine n’a pas épuisé toutes ses ressources en terme d’insolite, de bizarre, d’incongru ou tout simplement de bêtise.

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