LA SEILLE

   Ce récipient, initialement en bois, puis en métal étamé servait à recueillir le lait des brebis lors de la traite. Hauteur de 19 à 26 centimètres, diamètre : 32 centimètres.

   Dans ce texte de 1874, extrait de la revue "Le tour du monde", Adrien Roques et Jules Charton décrivent avec précision  la traite des brebis à Roquefort et dans les environs :

  

    Dans la belle saison, les brebis paissent soit à ces pacages naturels, soit sur les prairies artificielles ; on ne les laisse pas vaguer indifféremment sur tout le champ ; on les cantonne et on ne leur permet d'avancer qu'à mesure que les plantes sont entièrement broutées. Même en hiver, elles sont conduites au pacage chaque jour, pendant quelques heures ; c'est moins encore pour les nourrir que pour les égayer, leur faire respirer l'air pur du dehors et renouveler celui de la bergerie. On évite de leur laisser boire l'eau froide et vive ; on leur donne de préférence l'eau des mares convenablement entretenues et échauffées par les rayons du soleil.

    Après le repos nécessaire pour ramener la respiration des brebis à l'état normal et rafraîchir leurs mamelles, ce qui leur permet de donner le lait avec moins de fatigue, on commence la traite ; on emploie pour cette opération tout le personnel de la ferme : garçons, servantes, tous s'en occupent sous la surveillance du berger.

   Chacun vient s'asseoir devant la porte de la bergerie sur un escabeau fort bas, et a entre ses jambes un vase en métal étamé, d'une forme particulière, appelée seille. Les brebis sont poussées à tour de rôle par le petit berger vers les personnes chargées de les traire ; celles-ci les placent entre leurs jambes, les mamelles à la portée de la main et au-dessus de la seille qui reçoit directement le lait. Les femmes, pour la plus grande facilité de leurs mouvements et mieux retenir les brebis, resserrent leur jupon dans de larges pantalons d'une toile grossière.

   Lorsque, vers la fin de la traite, le lait moins abondant refuse de sortir sous l'effet seul de la pression, on soubat, c'est-à-dire on frappe le pis de la brebis avec le revers de la main, imitant en cela le coup de tête de l'agneau. La même brebis passe entre les mains de deux personnes : l'une commence la traite, l'autre soubat et la termine. La traite finie, le lait qui remplit les seilles est porté à la ferme et remis aux soins de la ménagère ; on le verse dans une chaudière à travers un linge et on le chauffe pour l'empêcher de tourner, et principalement pour évaporer la plus grande partie de l'eau qu'il contient. On le verse ensuite dans des plats profonds, et pendant le refroidissement on l'écrème en ayant bien soin de ne pas l'agiter. En cet état, le lait est abandonné à lui-même toute la nuit.

   Le lendemain, de grand matin, la traite du troupeau a lieu de nouveau, avant le départ pour le pâturage. Le lait du matin n'est jamais chauffé ni écrémé ; on le mélange à celui de la traite du soir qui, si l'on n'est pas en été, est auparavant remis sur le feu pour être porté à la même température que celui qui vient de sortir du pis de la brebis ; sans cette précaution le mélange se ferait mal.
Après le mélange des produits de ces deux traites, on les agite un instant et en même temps, pour en déterminer la coagulation, on verse dans la masse la présure à raison d'une cuillerée par cinquante kilogrammes de lait.

   La présure est préparée avec l'estomac de jeunes agneaux ou chevreaux, dans lequel on introduit une pincée de sel, et qui renferme des grumeaux de lait caillé, en même temps qu'il contient encore les différents sucs naturels de cet organe. Ces estomacs sont mis à sécher et lorsqu'on veut s'en servir, on met l'un d'eux à tremper dans un litre d'eau pendant quatre à cinq jours environ. Dès que la présure est versée dans le lait et que le caillé est formé, on agite le tout ; le caillé se précipite au fond et le petit-lait qui reste à la surface est versé dans un autre vase.

   Le caillé est versé à son tour par couches successives dans des moules où il prend la forme de fromages. Ces moules sont en terre vernissée, cylindriques, percés sur leur fond de petits trous pour l'égouttage du petit lait ; ils ont en général vingt et un centimètres de diamètre et huit centimètres de hauteur. Sur chacune des couches de caillé déposée dans le moule, avant de la recouvrir par la couche suivante, on répand une pincée de poudre de pain moisi. Lorsque le moule est plein, on agite un peu le pain et le caillé, afin de former par le mélange ce marbré blanc et bleu, propre au fromage de Roquefort, et qui est ensuite développé par la fermentation dans les caves.

   Ce pain moisi est l'objet d'une fabrication particulière. Il est composé avec une quantité égale de farine de froment, d'orge d'hiver et d'orge de mars et un levain très fort dans la proportion de vingt-trois pour cent additionné de vinaigre. La pâte est pétrie très dure et le pain est très cuit ; on laisse ce pain moisir pendant deux ou trois mois; on le réduit ensuite en poudre par la mouture. Le pain moisi est directement préparé par les fabricants de Roquefort, tant ils attachent d'importance à ses qualités ; ce sont eux qui le distribuent aux fermiers qui doivent leur fournir le fromage frais.

   Les moules, une fois remplis, sont apportés dans une huche appelée trennel ; après trois jours environ, tout le petit-lait est égoutté ; on dépose alors les fromages dans une pièce, le séchoir. Par suite d'une légère dessiccation, les fromages prennent une certaine consistance et on peut les transporter aux caves de Roquefort à dos de mulet ou dans des carrioles.

   Vers la fin du siècle dernier, le nombre des bêtes à laine entretenues dans la région du Larzac était évalué à quinze mille, dont cinq mille brebis laitières. Aujourd'hui * l'on en compte six cent mille, dont trois cent cinquante mille brebis laitières, et deux cent cinquante mille béliers, agneaux, antenaises ou moutons. L'élevage des troupeaux, autrefois restreint aux environs de Roquefort, rayonne aujourd'hui dans tout l'arrondissement de Saint-Affrique et dans les parties limitrophes des départements de l'Hérault, de la Lozère, du Gard et du Tarn.

   La moyenne du rendement d'une brebis, qui était au commencement du siècle de six kilogrammes, s'élève aujourd'hui * à seize et dix-sept kilogrammes. Le produit en argent, qui était à peine de douze francs, atteint aujourd'hui trente-quatre francs pour une brebis d'une valeur d'achat de trente francs ; on est d'accord pour reconnaître que c'est un produit net, car les frais de nourriture du troupeau, de garde et autres sont couverts par le rendement des autres cultures, les fumiers et la vente des produits accessoires, le petit-lait par exemple.

(* - en 1874) - dessins de A. Marie d'après des photos d'Adrien Roques.

photos L.Osouf, avril 2012

Le petit patrimoine de Lunas