Souvenirs d'enfance par Léon COMMEIGNES

La chasse et la pêche... le braconnage (2)

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   Tous les soirs d’été, nous partions à la pêche, mon père sur son vélo, sa musette au dos, bourrée de lisses et de filets, moi sur le porte-bagages. Chaque cavité où les truites trouvaient refuge avait son nom : la lande de Maistre, la pansière de la gare, le gour du notaire, le gour de Genlille, le fort de Cussol, etc..

   Mon père avait deux méthodes pour attraper les truites. Seul, à l’aide d’une longue et solide canne de bambou, il plaçait le filet pour entourer le rocher à truite; avec moi, il se tenait sur une rive et  moi sur l’autre. Il me lançait une corde attachée à un caillou ; je tirais à moi pour barrer la rivière de la lisse ou du filet. Evidemment, tous ces gestes à la tombée de la nuit ou à la nuit noire s’effectuaient dans le plus grand silence. On entendait seulement le clapotis de l ‘eau sur les cailloux, le cri des crapauds, des grenouilles, des cricris.

     Par les soirées chaudes d’été, combien de fois mon père me trouva pleurant de peur. J’avais entendu dans un souffle : "Attends- moi là, je reviendrai te chercher là".  Et il partait seul placer encore des filets. Cela me semblait interminable. Combien j’ai souffert des sorties nocturnes et je crois que c’est cela qui a fait que je n’ai jamais essayé de mettre en pratique moi-même ce que mon père m’apprenait. La récompense était souvent d’aller, au lever du soleil, assister au relevé des filets. Arrivés, nous apercevions déjà les truites argentées briller, embrouillées dans les mailles. Je trouvais alors cela exaltant, le soleil se levait à peine, il faisait frais ; il n’y avait plus l’angoisse de la nuit noire amplifiée par l’imagination et la peur d’un enfant de 7 ans.

   Nous ramenions souvent beaucoup de truites que mon père allait vendre à vélo aux hôtels de Lamalou, après avoir bien sûr retiré la part familiale.

   Nous allions aussi à la pêche aux écrevisses, à la lanterne, dans le ruisseau de Nize. A l’époque il n’y avait qu’à se baisser pour les ramasser ; le moindre petit canal d’irrigation était rempli de ces crustacés que je craignais d’ailleurs et que je n’attrapais que délicatement entre deux doigts par la carapace ; évidemment, j’en ramassais peu. Même adulte, je n’ai jamais pu prendre une grosse écrevisse à pleine main… Je ne pouvais pas faire un bon braconnier.

   Mon père était fort en tout. Il partait souvent seul dans la nuit, pêcher à l’épervier.

   Certaines années, en mai ou en novembre, au moment des pluies, la rivière devenait très grosse et montait jusque dans l’église ou sur la promenade. Dans de petits recoins abrités du torrent, mon père donnait un ou deux coups d’épervier et aussitôt  on avait un plein seau de petits vairons, des  "liougères" comme il disait. C’était très bon frit à la poêle.

    Il pratiquait aussi la pêche à la corde. Plusieurs hameçons étaient suspendus à une corde qui traversait la rivière. Des petits vairons servaient d'appâts. Souvent le matin était accrochée une énorme anguille, grosse comme le poignet. Le problème était de l’approcher  et de la tuer, car cela ne meurt pas facilement et ça vous glisse  entre les doigts … comme une anguille… J’en avais aussi très peur et je n’ai jamais essayé d’en saisir, car même prises à l’hameçon il arrivait souvent qu’elles échappent à papa.

    Mon père plaçait certains soirs des pièges à lapin, "des fers", fabriqués sur le principe des pièges à loup. Il partait, un sac sur l’épaule avec 8 ou 10 de ces pièges et les disposait dans les vignes à l’endroit où les lapins venaient faire leurs besoins,  "les pétadous". On repérait facilement  les crottes de la nuit précédente; alors mon père commençait par pétrir entre ses doigts des "pètes" pour effacer toute odeur humaine et mettait  en place l’appareil dans la terre et son amorce très fine qu’il recouvrait d’un papier journal et de terre. Le lendemain, au petit jour, il faisait le tour de ses pièges et ramenait les 3 ou 4 étourdis qui s’étaient laissés prendre. Les pièges qui n’étaient pas partis étaient mis en sécurité et le soir, il fallait venir les remettre en service.

    Un matin, j’avais alors 10 à 12 ans, il m’avait envoyé, avant l’école suivre les pièges placés la veille. Il m’avait bien précisé les emplacements par des repères : un arbre, un mur, etc… "d’ailleurs dès que tu arrives, tu vois le journal déchiré qui court dans les vignes". J’arrive à un endroit bien déterminé, je prends les repères ; je ne vois rien, j’avance, je recule ; …flac ! C’est moi qui suis pris comme un lapin ! Heureusement j’avais de gros souliers ; pas de mal donc. Mais il faut sortir mon pied de là. Je ne sais pas comment je m’arrange, le ressort était-il trop bandé pour mes petits muscles ?

   Je me trouve pris cette fois par mes doigts. Par bonheur encore, j'avais une bague en aluminium qu’à cette époque  de la guerre, nos soldats réalisaient  pour tuer le temps dans les tranchées et que tout le monde portait. Le piège donc pressait sur la bague qui m’évitait une trop grande douleur. J’ai dû redescendre au plus vite de la montagne, le piège caché dans ma blouse noire d’écolier et tout en pleurs. Je me souviens d’avoir rencontré la bonne  vieille Noémie (celle qui nous brodait les surplis pour l’église) qui me dit " tu es bien content Léonou ce matin"; la pauvre vieille ne voyait pas que je pleurais. Ma mère me libéra rapidement du piège : il fallait monter dessus avec le pied.

     Depuis ce jour, je ne suis plus allé au matin, relever les pièges à lapins, maman s’y étant désormais opposée.

     Mon père montait lui-même des pièges pour les petits oiseaux : "tourdres" (grives), merles, perdreaux. Il tenait cette fabrication de son père, coiffeur comme lui. Mon père en a fait d’ailleurs toute sa vie. A 85 ans, à Gourdon, il en  fabriquait encore et en vendait à la douzaine. C’est fait en acier spécial cuivré, un ressort central  et deux branches, une queue où l’on pose l’appât ; il faut tendre le piège très fin.

   Il variait  les appâts de ses pièges selon l’époque de l’année. Après les vendanges, il utilisait les grains de raisin dont sont friands "tourdres" et merles ; en décembre  des olives noires. Il appâtait aussi avec des fourmis ailées qu’il ramassait à une certaine époque de l’année dans les terres rouges de Caunas et qu’il conservait dans un bocal en verre. Des  "cadèles" (vers  de farine que l’on trouve aussi dans les excréments de pigeons) étaient conservés dans la farine ou « repasse ». Il m’emmenait souvent à l’affût dans les bois où il connaissait soit un cerisier bien isolé, soit un gros lierre : les "tourdres" et les merles sont gourmands de leurs fruits. Il fallait attendre souvent  de longues heures avant de pouvoir tirer un coup de fusil. A l’affût aux perdreaux, après les moissons nous nous postions dans une petite cabane de feuillage ou de pierres sèches. On appâtait dans l’alignement de l’ouverture et, avec un appeau, mon père, pour attirer les oiseaux, imitait le chant du mâle. Lorsque les perdreaux, qui volent en compagnie, étaient bien groupés, mon père tirait dans le tas avec des petits plombs ; il en restait souvent plusieurs sur le champ. Je ne trouvais pas ces attentes prolongées très intéressantes : des après-midi entières où rien ne venait malgré les appels.

     Mon père attrapait aussi des oiseaux vivants avec de grands pièges recouverts de filets. Lorsque les oiseaux venaient boire aux mares dans les campagnes, il les capturait pour monsieur Martin qui possédait une belle volière avec toute sortes d’oiseaux régionaux. Cette volière existe encore à Lunas, dans un jardin en face de la maison Rivière sur la route du Bousquet.

    Il braconnait aussi, au printemps, sur les hauts plateaux de l’Escandorgue. Ses victimes étaient les cailles. Il étendait sur les herbes un filet de grande dimension et imitait le chant de la femelle en quête du mâle avec un appeau spécial : pipibri…, pipibri…., Mon père  bien caché, continuait son appel. Tout à coup, autour de lui, il entendait les mâles: mamaou…, mamaou… Les cailles courent sur les herbes comme les rats; lorsqu’il les sentait sous le filet, il se levait : les oiseaux voulaient alors s’envoler, mais s’empêtraient dans les mailles du filet ; il n’y avait plus qu’à les cueillir.

     Mon père m’entraînait aussi à placer des lacets (collets) et à repérer le passage de chaque gibier : lapin, lièvre, renard, perdreau même. Pour chacun, il y avait une position, une hauteur de la boucle à observer. Il me faisait bien voir tout cela, mais il faut croire que je n’étais pas doué pour ces sortes d’activités.

     Il y avait un autre  gibier que mon père attrapait dans les ruisseaux : les rats d’eau. Cela  n’a rien de comparable avec le rat commun et j’en ai bien mangé étant jeune. Je crois qu’aujourd’hui je n’en mangerais plus !

     Quelques hérissons aussi arrivaient sur notre table ; celui à museau de cochon. Mais aujourd’hui, j’hésiterais aussi à en manger.

     Mon père cherchait aussi les truffes, ce "tubercule" qui a toujours une grande valeur. Aussi, chaque année, à la saison, partait-il de bon matin jusque sur le plateau de Carlencas. Il avait un chien dressé par lui qui lui indiquait l’emplacement des truffières. Il sortait les truffes avec une petite pioche spéciale pour ne pas les abîmer : il en ramenait une belle récolte qu’il  livrait aux restaurants de Lamalou.

   On peut se rendre compte combien notre menu quotidien pouvait être riche et varié, même pendant la guerre, avec un braconnier tel que mon père. Ajoutez à tout cela du sanglier en abondance. Je crois qu’aujourd’hui avec nos foies malades, notre cholestérol et autres misères, nous ne pourrions pas profiter de tout cela...

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