Les vendanges à Lunas au milieu du XXème siècle... (suite) |
Ah ! Les jolies vendanges (2) Le plus pénible pour
les coupeurs, est incontestablement le travail en position courbée durant
les 8 heures de la journée. Très vite une douleur sournoise s’installe
dans le bas des reins ; se redresser demande du courage tant la souffrance
est vive. Sur notre territoire, un seul riche propriétaire a investi sur
le palissage des souches. Avec cette technique, les ceps de vigne sont
arrimés sur 3 rangées de fils de fer, à une hauteur moyenne de 1mètre 50
ce qui a pour conséquence de positionner les grappes de raisin plus haut
et donc plus faciles à cueillir. Chez André et Joseph les souches sont
basses, il faut courber le dos, plier les genoux, se pencher pour chercher
et couper la queue du fruit. Les fins de journées sont difficiles et les
reins endoloris. Brouette à vendanger Heureusement, pendant les vendanges on rit beaucoup. Pour oublier la fatigue et les courbatures, un certain nombre de rites sont devenus traditionnels. Malheur à celui ou celle qui oublie de cueillir une ou plusieurs grappes sur une souche. Dès que la faute est découverte, le raisin oublié est aussitôt écrasé sur le visage du fauteur qui se retrouve barbouillé de jus de fruit collant et livré aux quolibets de tous ses collègues. Et puis, il y a toujours quelqu’un pour raconter une histoire drôle vécue ou inventée. Cet intermède permet de se relever, de rire un bon coup, de masser ses reins endoloris en creusant l’échine avant de replonger dans cette maudite souche qui cache ses raisins. Enfin arrive 10 heures, c’est la pause de la matinée. Il fait encore un peu frais, et s’allonger dans l’herbe avant de manger une tranche de saucisson et un morceau de fromage arrosés d’un verre de vin offert par le patron, est un vrai délice, même s’il est de courte durée. Le quart d’heure de repos est si vite passé qu’il faut déjà reprendre son seau et son sécateur. Quand l’angélus sonne midi, c’est la délivrance et la promesse de remplir un estomac qui crie famine. Si le lieu de vendange est trop éloigné du village, le repas est pris sur place. Je me souviens de côtelettes de mouton cuites sur les braises d’un feu de sarments de vigne qui embaumaient l’air et ravissaient les papilles. Ainsi se passe jour après jour la cueillette du raisin jusqu’à la fin des vendanges marquée par la « Soulinque ». Cette fête organisée par le propriétaire viticulteur, consiste à inviter tous les vendangeurs à un repas copieux et bien arrosé, suivi d’un bal animé par un accordéoniste ou un « tourne-disque » piloté par l’ancêtre du « DJ ». Quand la vendange est dans les cuves de béton et qu’elle a bien « bouilli », il faut « trescouler ». C'est-à-dire qu’il faut transvaser le vin nouveau dans une autre cuve ou des fûts pour qu’il s’affine et perde les gaz résultant de la fermentation. Comme cette cuve de fermentation contient tout le raisin, après avoir vidé le liquide, il faut aussi sortir les résidus solides constitués de la peau, des pépins et la rafle du fruit. Cette opération se fait à la fourche. Pompe à vin manuelle Muni de bottes, en short, torse nu, Joseph entre dans la cuve avec une bougie allumée afin de s’assurer qu’il ne reste pas de gaz carbonique. Il patauge dans le magma résiduel de la vendange et commence à sortir par la trappe le « marc » dégoulinant à l’aide de sa fourche. André charge ce marc dans une brouette qu’il va vider dans le pressoir entre les « clés » (j). Quand le pressoir est chargé, c'est-à-dire quand la hauteur de marc atteint le haut des clés, il faut placer les « manteaux » dont le rôle sera d’écraser les grappes pour en extraire le jus restant. Le dispositif est complété par 2 grosses poutres en chêne qui viennent s’intercaler entre les manteaux et la partie amovible du pressoir. Joseph met alors en place la lourde barre de fer qui sera manœuvrée par 3 ou 4 voisins. Le travail consiste à déplacer la barre de fer en un mouvement de balancier horizontal. A chaque manœuvre le cliquet sonore du pressoir inverse l’effort afin que l’écrou tourne toujours dans le sens des aiguilles d’une montre et permette ainsi la compression progressive du raisin. Le mécanisme du pressoir rappelle celui des pendules anciennes avec leur balancier et leur « tic-tac » si caractéristique. Pressoir à vis Au début de l’opération de pressurage, on dit chez nous «
princer », la mécanique bien huilée offre peu de résistance et le jus
de raisin commence à couler par les fentes des clés. Ce vin est collecté
dans une rigole qui, creusée dans le sol cimenté au ras des clés, le
déverse dans le « conquet » (h). De là, il est pompé et envoyé dans
la cuve avec le premier vin trescoulé. Plus le marc compressé devient
compact, plus l’effort à fournir est important et l’équipe d’hommes forts
doit déployer toute son énergie pour déplacer la barre. Quand la manœuvre
devient impossible, la première presse est terminée. Il faut alors laisser
du temps à ce vin pour s’écouler lentement, ce qui permet aux hommes de se
reposer, de raconter quelques « couillonnades », de fumer une cigarette et
de boire un verre offert par le propriétaire. Adicias à totès et à bel leu (Au revoir à tous et à bientôt peut-être)
(i) « trois six » : alcool produit par la distillation du marc et titrant 90° environ. Le terme de « trois six » viendrait de la méthode consistant à mélanger 50% d’alcool à 50% d’eau, pour démontrer, en enflammant ce mélange, que cet alcool n’est pas dilué. (j) « clés » : Barrières à claire-voie en bois retenant le marc à pressurer (Collection R. Guiraud) |
Merci à Robert Guiraud pour cette nouvelle contribution à l'enrichissement du site... |
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